Conférence organisée par l’AJPF le 2 février 2006
à l’hôtel SHERATON TAHITI
avec la participation de
Mme Geneviève CUSSAC magistrat
Pascal GOURDON
Résumé par Marie-Noël CAPOGNA intervenante
Publié dans le Bulletin de l'AJPF de mai 2006
Principaux thèmes abordés :
Il s’agit principalement de réfléchir sur une réforme souhaitée de la procédure d’adoption actuellement pratiquée - procédure encore aujourd’hui de nature essentiellement judiciaire puisque la première phase du processus d’adoption est la délégation d’autorité parentale.
Le rappel de deux textes relatifs à la phase administrative de l’adoption et à la compétence non contestable de la section adoption du service des affaires sociales :
- Une décision du gouvernement de la Polynésie du 27 janvier 1983 donne compétence au service territorial des affaires sociales pour appliquer la loi de 1966 relative à l’adoption. Cette même décision crée au sein de ce service la section chargée de l’adoption.
- Un avis du Conseil d’Etat du 4 février 1997 précise que la section adoption du service des affaires sociales de Papeete a les mêmes compétences que le service de l’Aide sociale à l’enfance en métropole, pour appliquer en Polynésie les lois relatives à l’adoption.
Ainsi, depuis tant d’années la Polynésie souhaite organiser la phase administrative de la procédure d’adoption qui relève de sa compétence – des années de travail et de réflexion menées principalement par la section adoption en relation avec les magistrats intervenant dans cette procédure. Ce travail demande de tenir compte d’une part de données objectives du droit ( textes applicables ou non à cette procédure, le statut et les compétences actuels de la Polynésie ) mais aussi de circonstances plus subjectives telles que les enjeux politiques, les jeux de pouvoir, les opinions personnelles et divergentes de chacun. Or, à propos de l’adoption et même en affirmant des opinions très divergentes, chacun parle toujours au nom du respect de la légalité et au nom de l’intérêt supérieur de l’enfant adopté. Pourtant, cet enfant adopté objet de tant de paroles et de bonnes intentions est hélas trop souvent aussi sujet de tous les oublis !
La procédure d’adoption en Polynésie doit tenir compte à la fois d’articles du code civil obligatoires en droit et inapplicables en fait (article 334-4 et 334-5 du code civil) et de textes non applicables en Polynésie ( le code métropolitain de l’action sociale et des familles ).
Pour remédier à ces difficultés, la seule solution est de conférer toute sa compétence à la section adoption du service des affaires sociales et de créer en Polynésie la catégorie d’enfants correspondant aux pupilles de l’Etat en métropole et qui dans ce pays pourraient être qualifiée de pupilles de la Polynésie. Il s’agit de donner aux enfants adoptables polynésiens et à leurs parents de naissance un véritable statut protecteur.
Il s’agit aussi de permettre de supprimer la délégation d’autorité parentale en tant que première phase de l’adoption qui certes ne constitue pas à proprement parler un détournement de la procédure d’adoption mais qui a l’inconvénient de l’incertitude du statut de l’enfant polynésien jusqu’à ce qu’il ait atteint l’âge deux ans.
Il s’agit enfin de donner à la Polynésie dans l’exercice de ses compétences la possibilité d’organiser le fonctionnement de la phase administrative de l’adoption en s’inspirant de ce qui existe en métropole ( enfant adoptable de moins de deux ans remis au service de l’aide sociale à l’enfance, recueil du consentement des parents, conseil de famille des pupilles de l’Etat ) mais en tenant compte des fondements culturels de l’adoption en Polynésie qui témoignent de la place
fondamentale et ancestrale de la coutume normative du don d’enfants dans la famille élargie ou entre amis.
D’un point de vue juridique, l’avis du Conseil d’Etat rendu en 1997 a bien précisé que « ni la loi relative à l’organisation de la Polynésie française, ni le statut d’autonomie n’ont réservé L’Aide sociale à l’enfance à l’Etat ». Pourquoi à ce jour la phase administrative de la procédure d’adoption n’est-elle pas encore de la compétence du service des affaires sociales ? Il s’agit d’obstacles juridiques qui sont les suivants :
- L’ordonnance du 21 décembre 2000 portant réforme du code de l’Action sociale et des familles contient des mesures d’adaptation à la mise en œuvre en Polynésie du régime des pupilles de L’Etat. Ce texte crée des droits au profit des enfants remis au service des affaires sociales et permettrait d’améliorer considérablement la procédure d’adoption des enfants polynésiens. Hélas, il manque depuis six ans maintenant deux décrets d’application qui tardent à venir et bloquent la situation, empêchant la Polynésie d’exercer ses compétences.
Une autre solution pourrait alors être envisagée. En effet, une loi du pays pourrait tout à fait conférer au service des affaires sociales le statut et les compétences d’un organisme autorisé pour l’adoption. Ce n’est cependant peut-être pas là la meilleure solution d’un point de vue juridique, car un tel organisme a des compétences plus réduites que celles conférées à L’Aide sociale à l’enfance et cela pourrait s’avérer dommage pour certaines catégories d’enfants polynésiens (par exemple ceux dont la filiation est inconnue ou n’est pas établie).
Enfin, la solution qui paraît la meilleure et qui dispenserait la Polynésie d’attendre encore de longues années peut-être la parution des deux décrets d’application de l’ordonnance de 2000, serait de promulguer le code polynésien de l’aide sociale et de la famille pour lequel un travail de réflexion et de codification a déjà été entrepris. L’application de ce code polynésien manifesterait l’autonomie du pays en matière d’Aide sociale et concrétiserait toutes ses compétences pour la procédure d’adoption des enfants polynésiens. De plus son contenu rédigé par des Polynésiens pour la protection des enfants polynésiens permettrait qu’il soit tenu compte des principes fondamentaux qui ont toujours présidé dans la tradition de l’adoption en Polynésie (possibilité d’un choix des adoptants par les familles polynésiennes, liens de confiance, d’estime et de respect réciproques crées entre les deux familles de l’enfant adopté, préférence pour l’adoption simple etc…)
En effet, dans tout pays la procédure d’adoption est une construction juridique qui doit tenir compte d’une part de ce qui relève de la volonté individuelle, d’autre part de ce qui relève de la société. Or, la Polynésie témoigne d’une conception de l’adoption qui recouvre une superposition au lien du sang plutôt qu’une substitution de parenté. L’adoption témoigne d’une conception additionnelle de la parenté et de la coexistence de deux familles dont l’une a donné la vie et l’autre a pris l’engagement d’élever l’enfant. Ainsi, la tradition de l’adoption en Polynésie manifestation d’une éthique globale de l’échange et du don entre deux familles par enfants interposés correspond au processus de l’adoption simple du droit français, et semble beaucoup plus éloignée de l’adoption plénière ( qui est la règle en métropole ) et qui est dominée par l’abandon de l’enfant, l’anonymat, le secret et par la disparition juridique, symbolique et réelle de la famille d’origine de l’enfant.
Les Polynésiens n’oublient jamais la double appartenance de l’enfant à sa famille de naissance et à sa famille adoptive, ce qui constitue d’ailleurs la réalité essentielle de toute adoption. Cette vérité connue de l’enfant va lui permettre d’avoir des repères parentaux précis, justes, exempts de confusion et de culpabilité constitutifs de sa subjectivité.
L’adoption simple recouvre une réalité noble, riche et structurante qui met l’enfant à l’abri d’un statut de sujet approprié. Il s’agit d’une conception intellectuellement plus juste et moins égoïste que celle de l’adoption plénière.
Emettons le souhait que la Polynésie comprenne que l’application du code polynésien de l’aide sociale permettrait que soient organisées dans le pays une protection générale de toutes les familles polynésiennes et une réforme de la procédure d’adoption pensée selon les repères et les valeurs culturels et institutionnels des Polynésiens.
CHIFFRES Tribunal de Première Instance de Papeete
DELEGATION D’AUTORITE PARENTALE (DAP)
Source : TPI de Papeete – Nous remercions Mme Geneviève CUSSAC Magistrat au TPI de Papeete.
DAP « locales » (résidents en Polynésie française)
2003
Dossiers instruits : 210
2004
Dossiers instruits : 207
En cours d'enquête : 41
2005
Dossiers instruits : 147
En cours d'enquête : 34
DAP à des métropolitains (agrément obligatoire)
2003
Dossiers instruits : 72
2004
Dossiers instruits : 64
2005
Dossier instruits : 50
NOMBRE DE JUGEMENTS D’ADOPTION RENDUS PAR LE TPI DE PAPEETE
« La plupart des jugements d’adoption rendus en Polynésie Française concernent des adoptants polynésiens, puisque le tribunal compétent pour les prononcer est le tribunal du lieu du domicile du demandeur à l’adoption. »
Source : Greffe - registre des décisions – Nous remercions Mme Denise DANGLADES, Greffier en chef au TPI de Papeete et M. Godefroy Du Mesnil Vice-président, Juge aux affaires familiales au TPI de Papeete.
Année 2003
Adoptions simples : 38
Adoptions plénières : 20
Année 2004
Adoptions simples : 55
Adoptions plénières : 30
Année 2005
Adoptions simples : 92
Adoptions plénières : 46
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